VOL. 40 NO 1 8 VOL. 40 NO 1 9 S’il existe un métier dont on entend rarement parler, c’est certainement celui des installateurs de revêtements de sol. Impossible d’en douter, celui-ci ne bénéficie d’aucune promotion ou de relève digne de ce nom. La pénurie chronique de ses forces vives constitue souvent le point faible de la chaîne opérationnelle en construction et en rénovation de par les délais nécessaires à l’accomplissement des mandats. Et lorsque le peu de considération pour le métier se ressent jusque dans les politiques gouvernementales, il y a certes lieu de se questionner sur l’avenir de ce métier de toute évidence méconnu et très mal aimé. Portrait de la situation, de la formation aux relations sur le terrain. Profil type : l’installateur moyen actuel au Québec a 52 ans. Soit cinq ans de moins qu’en 2015. « Cela s’explique notamment par le fait que les installateurs plus âgés n’ont pas voulu embarquer dans les grands chantiers, tel celui du CUSUM, ce qui a laissé la place à de nouveaux entrepreneurs. Des nouveaux installateurs ont aussi intégré le marché. A-t-on réussi à combler le déficit? Non. Cette tendance au rajeunissement se maintiendra-t-elle? Impossible de savoir », note d’entrée de jeu Benoît Therrien, trésorier de la FQRS et enseignant au programme Installation de revêtements souples de l’École des métiers de la construction de Montréal. Profil type, encore : il gagne un peu plus de 25 $ de l’heure lors de son entrée sur le marché. Puis, avec le cumul d’heures de travail, il passera vite à 29 $, 35 $ puis 41 $ de l’heure. Des montants qui seront d’ailleurs rajustés à la hausse dans quelques semaines. « Et qui n’incluent pas les nombreux bénéfices et avantages sociaux, notamment les vacances et les 7 % », prend bien soin de noter Éric Morissette, vice-président de la FQRS et représentant des ventes — Est du Canada pour Ardex Americas. Profil type, toujours : le taux de rétention d’une personne formée et intégrée à l’industrie après 5 ans est de 20 %. « Ce taux est plus élevé dans le cas de personnes formées dans le cadre d’études que pour celles provenant du bassin. Le savoir-faire qui leur est transmis, à la fois technique et physique, leur procure une certitude, une force, qui en retour leur permet de se distinguer et de gravir plus rapidement les échelons professionnels, par rapport à ceux du bassin qui sont là depuis plus longtemps mais qui ont tendance à stagner », relativise Benoît Therrien. COMMENT RECRUTER POUR UN MÉTIER DONT PERSONNE NE PARLE? Comment être tenté par les conditions offertes si elles ne dépassent jamais le cercle des initiés? Devant une telle discrétion, voire une telle timidité, est-il exact de statuer en disant qu’il s’agit là d’un métier qui se transmet, encore et toujours, de père en fils, de père en fille? « Plus maintenant, répond Benoît Therrien. Il y a quelques années, la direction de l’École des métiers avait décidé de mousser le programme à travers des publicités numériques affichées le long de certaines autoroutes. Le recrutement s’en est aussitôt ressenti. À cette époque, les inscriptions fonctionnaient très bien. Nous avions régulièrement jusqu’à trois groupes de 22 étudiants et environ 48 finissants annuellement, souligne M. Therrien. Une fois cette promotion retirée, pour différentes raisons administratives, il est devenu difficile de former un seul groupe ». En fait, au début de 2024, la situation peut aisément être qualifiée de catastrophique. « Le programme a obtenu du financement pour une formation de type Petit groupe — neuf participants maximum. En ce moment, seulement quatre personnes sont toujours en place », révèle M. Therrien. « Pourtant, il s’agit d’une profession où il est possible de créer une entreprise assez facilement, d’engager d’autres jeunes issus du bassin ou des écoles de métier, une possibilité qui devrait séduire bon nombre de jeunes ayant la fibre entrepreneuriale », argue Éric Morissette. Loin d’aider la cause du recrutement, le programme de 300 M$ Formations de courte durée pour des métiers de la construction du gouvernement québécois, lancé en 2023, a plutôt contribué à creuser davantage le fossé reliant le métier d’installateur à la grande chaîne opérationnelle du secteur de la construction. En effet, sur les quatre nouvelles formations de courte durée subventionnées et offertes dans différents établissements scolaires depuis janvier 2024 partout au Québec (Carpenterie-menuiserie, Conduite d’engins de chantier, Ferblanterie, Réfrigération), rien n’a été pensé ou ménagé pour la pose de revêtement de sol. « J’ai vu un reportage dans lequel Québec disait avoir consulté avant de procéder. Qui ont-ils consulté? Seulement des gens dans les hautes sphères? Parce que j’ai lu que même l’Association de la construction du Québec (ACQ) a dit craindre ces formations, notamment en réfrigération, sur la base qu’une telle accélération pourrait avoir des effets sur la dangerosité des gas et des soudures. On n’a donc pas consulté les bons intervenants, ceux qui connaissent la réalité quotidienne des travailleurs et des formateurs », fait valoir M. Therrien. Et ce n’est pas tout. Ces programmes semblent avoir connu un bon succès en temes d’inscriptions, mais viendront-ils réellement combler un manque de main-d’œuvre sur les chantiers, tel qu’anticipé? M. Therrien émet des réserves : « Lorsqu’on voit une personne de 70 ans qui vient suivre son cours, on est en droit de se demander si elle vise à travailler sur un chantier. Il est possible de croire qu’elle ne touche que la pension du gouvernement et qu’en venant étudier, à 3000 $ par mois, elle double ses gains. » Selon lui, les professionnels qui durent sont ceux qui ont développé une passion pour cette activité. « Si on ne les attire qu’avec l’argent, ça risque de ne pas trop durer. Par contre, s’il existait des incitatifs pour permettre à certaines personnes de changer d’emploi et de migrer vers la pose, ce serait super. Des personnes déjà en emploi, qui auraient plus de chances de performer et de perdurer. Mais, sans aide financière concrète autre que celle d’Emploi Québec ou de l’aide sociale, effectuer ce changement de carrière et d’aspirer à un emploi plus payant demeure impossible à réaliser, surtout lorsqu’une famille est DOSSIER MAIN-D’ŒUVRE SOS MAIN-D’ŒUVRE par Yves Rivard n Benoît Therrien, trésorier de la FQRS et enseignant au programme Installation de revêtements souples à l’École des métiers de la construction de Montréal. Éric Morissette, vice-président de la FQRS et représentant des ventes pour l’Est du Canada chez Ardex Americas.
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