VOL. 38 NO 3 8 VOL. 38 NO 3 9 Oser parler de la pénurie et de la qualité de la main-d’œuvre actuelle dans notre secteur d’activités n’est certes pas le sujet le plus facile. Alors que les dernières cohortes de boomers se préparent à partir à la retraite, emmenant avec eux leur savoir-faire et leur savoir-être en entreprise, les directions des ressources humaines doivent composer sur une base quotidienne avec le recrutement des plus jeunes générations (Y et Z), dont la vision du travail est certainement différente des précédentes, et ce, sur tous les plans. Il va sans dire que le contexte pandémique a aussi complexifié les différents défis à relever, comme vous le lirez dans les pages qui suivent, alors que plusieurs joueurs de l’industrie ont accepté de faire le point. Mais avant de découvrir ces différences marquées, il importe de résumer les méthodes et pratiques de ces générations Z (personnes nées après 2001) et Y (celles nées dans les années 1990) en milieu de travail et de les contextualiser, en gardant en mémoire que c’est de la génération flower power des années 1960 et 1970 que sont issues la grande majorité des PME québécoises et les premières cohortes francophones de fonctionnaires, une fois la grande fête terminée. Donc, il est raisonnable de croire que la donne pourrait changer, notamment si le contexte économique devenait plus difficile et l’emploi moins abondant. Car, soulignons-le d’entrée de jeu, les « caractéristiques générationnelles » des Y et Z auraient dû se heurter aux réalités du marché du travail, comme ce fut le cas pour les générations précédentes, et susciter des changements d’attitudes. Mais, au grand dam des entreprises, la pénurie a eu l’effet contraire et a l’instauration d’une manière différente d’envisager le travail, le sentiment d’appartenance, l’esprit d’équipe, etc. Et quelles sont donc ces « caractéristiques générationnelles » observables en milieu de travail? On s’accorde généralement sur le fait que les nouveaux employés ne se présentent pas à leur premier jour de travail sans prévenir (le tristement célèbre ghosting); qu’ils ne se présentent pas en usine pour assister à un évènement, souvent sans en informer le chef d’équipe; qu’ils ne désirent pas une vie organisée autour de paiements mensuels à effectuer; qu’ils démissionnent par message-texte; qu’ils exigent que les notions d’équité, d’inclusion et de reconnaissance soient respectées, souvent sans rien respecter en retour; et que la santé mentale est une priorité, avec tout ce que cela peut impliquer. Ont-ils tort ou raison? Une chose demeure, elles sont le produit de leur époque, la continuité des générations précédentes, remixée à l’aune de la grande fracture numérique, des réseaux sociaux, du wokisme et du concept de la société des loisirs… L’ABSENTÉISME, C’EST AFFREUX Pour les gestionnaires RH, plus que jamais, le premier contact s’avère important, décisif, et ce, que l’entreprise soit syndiquée ou non. Ainsi, lors de l’entrevue, il importe de bien expliquer ce qui est attendu de chaque employé, ce qui ouvre naturellement la porte aux questions, demandes et exigences des candidats, qui se savent désirés en contexte de pénurie. « Outre les demandes de congés inopinés, on ne reçoit pas tant de demandes d’accommodements. Du moins, pas au moment de l’embauche », note Alexandra Fortier, présidente des Parquets Alexandra, qui a pignon sur rue à Lévis. « Mais ça arrive qu’un employé n’entre pas parce qu’il a trop bu la veille. J’ai un nouvel employé qui entre seulement deux ou trois jours par semaine, car il trouve le travail trop dur, trop « tough » . L’absentéisme a un grave effet sur la chaîne de production d’une petite entreprise. ». Michel Gariépy, vice-président chez Preverco, renchérit : « L’absentéisme, c’est affreux, et ça mène à un cercle vicieux. Les jeunes n’ont pas peur de perdre leur emploi, car ils savent qu’on a besoin d’eux. Si on les renvoie, la production écope, car on doit remplacer ces absences. Si on laisse passer, ce sont souvent les plus anciens qui écopent en les remplaçant. » « Comme les employés de production chez Formica sont syndiqués, il est plus difficile de demander des accommodements, explique Isabelle Marier, directrice des ressources humaines. Le fait de manquer une journée et de ne pas être payé ne les dérange pas. Il n’est pas rare qu’un candidat vienne suivre une formation d’une journée pour ne plus jamais revenir. Pas d’appel. Pas de réponse à nos appels. Le savoir-être n’est plus là. Pourtant, lors de l’entrevue, ils se disent tous ponctuels et assidus. » Ô miracle, certaines compagnies semblent échapper à ce triste zeitgeist . « Sika, qui compte 600 employés, se considère comme chanceuse de ne pas réellement vivre de telles situations », confie Naji Ghanem, vice-président aux ressources humaines. « Les employés ont une banque de congés mobiles et l’utilisent. Viennent-ils avec des conditions sine qua non? Non. » Constat similaire du côté de Schluter Systems : « Chez nous, dès l’entrevue d’embauche, les candidats sont bien informés des attentes, et du côté administratif, on ne note rien du genre », précise Anne Gagnon, directrice des ressources humaines. Mais, parfois, on peut également perdre des candidats sur la base de conventions collectives prévoyant certaines mesures, certaines dispositions. Serge Marceau, directeur des ressources humaines chez Beaulieu Canada, apporte des précisions : « Les entreprises de service ont beaucoup plus de flexibilité pour s’adapter à leurs employés qu’une entreprise manufacturière, qui fonctionne 24/7 pour rentabiliser ses opérations. Actuellement, malgré des primes offertes, personne ne veut travailler la nuit ou les fins de semaine. Même pas le soir. C’est pourtant ce que demande la convention collective aux nouveaux employés. » QU’EST-CE QUE L’ENTREPRISE PEUT M’APPORTER? Attirer, c’est bien, mais retenir, c’est mieux. À chaque entreprise de trouver ce qui peut générer un désir d’engagement, ou du moins une assiduité en usine. « Preverco a misé principalement sur le salaire, sur les méthodes de communication revues et améliorées entre contremaîtres et employés, sur la rénovation de la cafétéria pour en faire un lieu encore plus convivial, etc. Mais le sentiment d’appartenance est plus difficile à créer qu’auparavant », souligne Michel Gariépy. Autre point de négociation incontournable, bien que commun à tous les secteurs d’activité : la différence existant entre le salaire d’acceptation et le salaire offert. « La révision des progressions salariales et avantages sociaux, souvent au-dessus de ceux offerts sur le marché, a aidé à garder nos forces vives, relate Naji Ghanem, de Sika. Tout comme le fait d’être davantage présent et visible lors d’évènement d’engagement social. L’implantation du télétravail en mode hybride, entre 9 h et 15 h, est aussi un succès. » Certaines compagnies misent aussi sur les possibilités d’avancement, qui génèrent des hausses salariales et… de responsabilités, mais, y a-t-il des intéressés? « Chez-nous, il y a des possibilités du côté administratif, et en usine aussi, confirme Nicolas Jean, directeur des ressources humaines chez BoaFranc, qui emploie globalement 475 personnes. L’entreprise, qui offre de bons salaires, peut permettre à des employés avec peu ou pas d’études de grandir. » par Yves Rivard DO S S I E R EMP L OY É S R E CH E R CH É S
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