Magazine Surface Vol. 38 No 1

vol. 38 no 1 8 vol. 38 no 1 9 p o u r q u o i cho i s i r d e f e rme r l e d i manch e ? d o s s i e r C’est en 1990 que le Québec a adopté une loi permettant aux commerces d’ouvrir leur porte le dimanche tout en limitant à cinq le nombre d’employés sur place. En 1992, Gérald Tremblay, ministre de l’Industrie et du Commerce du parti libéral, a déposé un projet de loi qui allait permettre l’ouverture des magasins sept jours sur sept. Il faut se remettre dans le contexte de l’époque pour comprendre l’engouement du gouvernement face à cette petite révolution. Le dimanche était encore considéré comme une journée sacrée, une journée de repos pour la majorité des travailleurs. Par contre, avec un taux de chômage frôlant les 12,8 %, l’idée d’ouvrir les commerces sur une plus longue période était séduisante pour le gouvernement en place. Sans oublier que le produit intérieur brut du Québec stagnait durant cette même période. On voulait, à tout prix, favoriser la consommation. On assistait aussi à l’émergence des grandes surfaces — Club Price, Sears, La Baie, Canadian Tire —, qui elles aussi étaient en faveur d’une telle ouverture le dimanche. L’appui est aussi venu des marchés d’alimentation et des pharmacies. Bref, un vent de libéralisme commercial venant du sud de la frontière allait balayer la belle province. la covid-19 fait réfléchir Le 30 mars 2020, le premier ministre du Québec annonçait pour une première fois la fermeture des commerces le dimanche. On voulait accorder du répit aux travailleurs essentiels qui étaient sur la ligne de front depuis l’apparition du coronavirus. La mesure n’a pas fait de vague. Au contraire, cette directive a été acceptée autant par les commerçants que par les clients. Comme il s’agissait d’une mesure temporaire, les détaillants ont pu réouvrir leurs magasins dès le 24 mai de la même année. Ce qu’ils n’ont pas tous fait. Les propriétaires de plusieurs magasins ont constaté que le fait de respecter la fermeture dominicale n’a pas diminué l’achalandage total dans leur commerce. « Nous, à La Tuilerie, on pensait que d’être ouvert sept jours sur sept nous permettait de bien répartir le nombre de clients en magasin », explique Mathieu Bourduas, directeur général de cette chaîne de neuf magasins. « On a pris la décision, il y a environ six mois, de fermer le dimanche pour donner un congé à l’équipe. Résultat : on n’a pas senti de baisse dans nos ventes, mais ç’a été très positif pour le personnel. Ce qui fait qu’on n’a pas l’intention de réouvrir, du moins à court terme. » Mathieu Bourduas, directeur général des magasins La Tuilerie. C’est une décision qu’un bon nombre de détaillants spécialisés en revêtements de sol ont pris. Par exemple, les magasins membres du regroupement Area Design sont en majorité fermés le dimanche. Denis Lanctôt, propriétaire de Lanctôt Couvre-Sol Design, nous explique qu’il a fait une petite enquête maison auprès des 14 magasins du groupe : « J’ai été surpris de constater que 13 magasins sont désormais fermés le dimanche. Il y en a même trois qui ferment aussi le samedi. Pour expliquer cette tendance, on retrouve, dans l’ordre, les raisons suivantes : conciliation travail-famille, manque de personnel qualifié, pénurie de main-d’œuvre, peu d’impact sur les ventes. » Le seul irréductible de ce groupe de marchands est Paul Emard, qui explique devoir rester ouvert à cause des marchands concurrents qui sont ouverts dans sa région. « Si je ferme mon magasin le dimanche, je vais perdre des ventes à la faveur de mes concurrents, explique Paul Emard. Comme mes conseillers en magasin sont payés à la commission, et que les ventes sont particulièrement bonnes le dimanche, je n’ai pas trop de difficulté à convaincre mes employés spécialisés de travailler le dimanche. La gestion du personnel est un peu plus compliquée, mais ça fonctionne bien. » les employés se font rares La pénurie de main-d’œuvre touche tous les pans de notre économie. Plusieurs entreprises vont jusqu’à utiliser du temps d’antenne à la télé pour annoncer qu’ils embauchent. Comme leur dénomination l’indique, les détaillants spécialisés ont besoin de spécialistes pour servir leur clientèle. Par les temps qui courent, ça semble être une denrée rare. Présentement, le taux de chômage au Québec se situe autour de 5,0 %. En fermant, les commerces le dimanche, ça permettrait de diminuer la pression que subissent les magasins. « On préférerait que les magasins soient fermés le dimanche, mais compte tenu du fait que les grandes surfaces sont ouvertes, on recommande à nos marchands d’ouvrir sept jours sur sept, explique Jacques Cloutier, directeur général de Déco Surfaces. Par contre, tout le monde a des problèmes de main-d’œuvre. On fait face à une réalité difficile à résoudre. Comment offrir un service de grande qualité sur sept jours avec un manque criant de personnel? » Jacques Cloutier va plus loin en affirmant que plusieurs marchands ferment leur magasin aussi le samedi et raccourcissent les heures d’ouverture les jeudi et vendredi. Évidemment, la solution serait de changer la loi afin d’obliger tous les commerces non essentiels à fermer le dimanche. « Mais cela, c’est loin d’être gagné. Les Walmart et Costco de ce monde n’ont aucun intérêt à fermer leurs magasins, ne serait-ce qu’une journée par semaine. Ce sont les petits marchands qui veulent ces changements; c’est un peu David contre Goliath. » Coprésidents de Area Design : Denis Lanctôt, de Lanctôt CouvreSol Design. et Paul Emard, d'Emard Couvre-Planchers. Intérieur d'un magasin La Tuilerie par Marcel Soucy Jacques Cloutier, directeur général de Déco Surfaces.

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